Le retour de la gironde.

Publié le par Breujoù Breizh

Les élections françaises apportent leurs lots de chiffres statistiques, toujours utiles sur les rapports qu’entretiennent les populations avec le Politique et les symboles qu’elles lui associent inconsciemment. Un maquis arithmétique regroupant les « pour », les « contres », les « ni-ni ». En Bretagne, ces élections françaises auront permis, si cela était un besoin pressant, de confirmer que la francité des bretons, plus couramment dénommée « devoir républicain », est aussi solide que le granit armoricain. Sous cette triste constatation, on relèvera quelque nouveauté.

On ne s’attendait pas à un réveil breton, on put tout au plus, comme d’habitude, évoquer un particularisme sympathique. Mais les nationaux espéraient chacun de leur coté trouver la bonne nouvelle censée revigorer l’encéphalogramme désespérément plat de la conscience ethno-politique en Bretagne. Un Tel interprétant une fenêtre de tir « régionaliste » en la personne du candidat X, Tel autre une catastrophe ambulante pour la France en cas d’accession aux responsabilités du candidat Y, s’en frottant les mains à l’avance.

Parmi le lâcher de cette année, des perdreaux divers, pour certains déjà malades et grimaçants, d’autres plus reluisants. Celui qui eut l’air le plus frais fut à n’en pas douter Monsieur François Bayrou. Béarnais sympathique qui donne envie de rire lorsqu’il simule la gravité, trop anticonformiste pour les notables de l’UDF, trop consensuel pour ne pas sombrer dans le boboïsme sociétal, le phénomène Bayrou fut en fait un de ces come back qu’on attend plus, qui surprend sans surprendre. Lequel ? Celui de la Gironde, écrasée dans le sang par le jacobinisme républicain robespierriste il y a plus de deux cent ans, en même temps que les chouans bretons.

Modeste, audacieux, réaliste, un peu fantasque et pas toujours sûr de lui, François Bayrou est certainement le candidat qui a le plus de flair politique, un esprit alliant souplesse dans la mise en œuvre de la tactique et une stratégie qui s’avèrera être redoutable d’intuition et de bon sens s’il a la dose de chance dont les hommes d’exception ont toujours besoin. Le bonhomme, dans cette mêlée, est juste ce qu’il faut d’opportuniste, de démagogique, pour être efficace sans en faire une fin en soi. C’est aussi le type qui menace le plus gravement les roucoulades amoureuses de l’UMPS, poumons du jacobinisme français. Bayrou avait récupéré une machine, l’UDF, qu’il avait sauvé de l’absorption in extremis par l’UMP de Chirac. En cinq ans, il parvient à en faire une nouvelle option politique rassemblant un électorat pour l’instant hétéroclite de près de 18.5%. Son défi immédiat, le solidifier aux législatives. En Bretagne, 22-23%. C’est le cauchemar de 1792-1793 qui recommence pour la Convention et ses petits enfants qui espéraient en avoir fini avec la démocratie authentique.

S’estimant capable d’être un chef d’état de dimension historique, Bayrou ne veut pas se contenter d’être le baron d’une milice centriste chargée de rabattre pour le Prince d’une majorité. Il ne vise rien moins que ce dont rêvait Le Pen : faire imploser la cinquième république. A ce détail près, qu’en plus il se voit être l’homme qui refondera les institutions de la France. Par positionnement politique ou conviction, le chef centriste a mené ses troupes dans une offensive sans retour : ou il impose un parti indépendant au centre fondé sur les valeurs du pragmatisme social et économique, de la subsidiarité, de l’Europe et de la fin des idéologies collectivistes, capables de gouverner, ou il disparaîtra purement et simplement faute de soutien. La tentative est marquée du sceau du panache et ce seul fait dénote un sens du culot assez rare dans une caste politicienne française sclérosée par le carriérisme énarchique.

La percée de Bayrou, c’est celle d’une Gironde qui refuse les grands principes abstraits au nom desquels on collectivise la vie publique, pour ne pas dire « enrégimente ». A « l’égalité » on préfère « l’équité », à « la Liberté », « les libertés », à la fraternité, « la subsidiarité». Elle n’idéologise pas aussi religieusement le principe républicain qui débouche toujours sur la tentation inquisitrice. Aucun groupe n’est spécialement soupçonné de menacer la république, le climat de suspicion qui règne encore en France depuis la Terreur –si pratique pour trouver des boucs émissaires à l’effondrement français- ne l’anime pas. Cette Gironde décapitée il y a deux siècles revient au moment ou l’hexagone n’est plus qu’une puissance moyenne, sans empire, n’inspirant plus personne, au rayonnement éteint et à la verve fanatique et arrogante devenue ridicule et creuse. C’est le retour du réalisme, parfois angélique. Une sorte de démocratie apaisée et normalisée, un humanisme un peu béat dans un nouveau siècle assurément guerrier.

Ce Bayrou sorti du bois à la hussarde et un peu à la va vite, a remporté un très bon succès en Bretagne comme en Alsace ou dans les Pyrénées. Des régions périphériques, soucieuses de sortir de l’espace étroit hexagonal, notamment vers les autres nations européennes. Des terres ou le nombrilisme français, qui s’appelle « Paris », interpelle moins pour des raisons d’éloignement. C’est un vote tranquille en Bretagne, dans lequel on peut déceler un certain goût pour les thèmes de l’Europe, du fait culturel et aussi d’une certaine incompréhension de la fracture pseudo-idéologique gauche-droite, jugée peut-être inutile dans une terre ou la concorde due à une certaine homogénéité ethnique et une continuité historique renforcent le sentiment de solidarité naturelle.

Plus qu’une percée du « ni-ni », il s’agit d’une victoire du « Nous », assez indifférent à la création de clivages à des fins tactiques par l’UMPS, perçus comme déstabilisateurs et potentiellement dangereux. Le vote Bayrou est un peu du même ressort que le vote japonais pour le Parti Libéral Démocrate, de Droite, depuis près de 60 ans au Japon sans interruption, hormis une session de deux ans en faveur de la gauche modérée. Un vote qui dépasse la démocratie par son aspiration à un retour des notions de durée et de concorde mutuellement entretenue dans l’intérêt supérieur du peuple, au détriment du combat des factions politiciennes dans le cadre de l’alternance.

En Bretagne Bayrou fut donc apprécié par son aspect neutre, au dessus des partis, et de fait, ayant une dimension monarchique tempérée de républicanisme. Cette aspiration est celle d’une frange du peuple ressentant un besoin naturel pour une gestion, non pas tant « démonstrativement démocratique » à coup d’affrontements superficiels derrière lesquels se cachent un jacobinisme toujours entretenu avec ses deux visages –car au fond le débat est toujours « état-papa » ou « état-maman » ?- mais apaisée, durable, consensuelle, démocratique par la pratique plus que par les joutes claniques de couloirs de type césaro-latines.

Le vote Bayrou est aujourd’hui en France un vote « révolutionnaire » car il brise la réaction jacobine dans ses fondamentaux structurels avec ses faux antagonismes montés pour l’occasion et qui trompent toujours les peuples sur les vrais enjeux mais préservent les prébendes de ceux qui ne veulent pas que le système de castes change. Compte tenu du conservatisme français, le futur « Mouvement Démocrate » ressemble à un OVNI politique. Plébiscité en Bretagne, il correspond à une aspiration locale teintée de gironde et de régionalisme, avec un arrière goût de monarchie constitutionnelle nordique. La lecture ethnique de ce vote est claire en Bretagne, et derrière le calme apparent qu’il inspire, il renvoie à des tempéraments plus dynamiques de nos ancêtres. A défaut de mieux, il faut savoir saisir ce que le destin apporte, sans se leurrer sur les limites d’une pareille maxime.

Awen Meriadoc

Publié dans Numéro 1

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